Après l'article (en espagnol) paru dans "El Pais" après le décès de Driss Chraibi, Voilà un autre article en Anglais, que j'ai trouvé sur CBC Art et qui revient sur le parcours de Driss Chraibi du Passé simple jusqu'à son decé en 2007.

Moroccan-French novelist Driss Chraibi dies
Driss Chraibi, the Morocco-born writer who became one of the world's most prominent authors of North African descent, has died at the age of 80.
Chraibi was known for mixing biographical elements from his own life into his writing, which examined themes such as colonialism, culture clashes, generational conflict and the treatment of Islamic women.
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Driss Chraïbi

Les Boucs

1955
« Dans dis ans que seras-tu ? » demande-t-on a Yalann Waldik, petit cireur algérien. « Je serai un cireur de vingt ans, si Dieu le veut » Dix ans plus tard, Waldik fait vendre le dernier bouc de son père pour rejoindre, en France, les immigrés nord-africains, les boucs, parqués en marge de notre monde et qui, à raison de 69 kilos par Arabe », représentent, dans les années cinquante, « 20 000 tonnes de souffrance ».
Ni l’amour de sa compagne Simone dont il a un enfant, ni l’amitié de Raus, ni la rédaction, en prison, du manuscrit des Boucs ne guériront Waldik de la révolte et de la haine – fruit de la misère et du racisme.
Quarante-cinq ans après sa parution, le roman de Driss Chraïbi reste d’une poignante actualité.
Driss Chraibi, les boucs, ISBN 2-07-038160-9
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Pour Driss Chraibi. Par Tahar Ben Jelloun.

Ce vendredi, 6 avril 2007 Driss Chraibi est enterré au cimetière des Chouhadas à Casablanca. Son corps a été rapatrié hier soir et je sais qu’il a été gardé dans la morgue de l’aéroport de Casablanca. J’ai longuement pensé à lui cette nuit dans cette chambre glaciale, lui, l’écrivain au sang chaud, lui, l’homme qui vivait debout, sans concession, sans pathos.

Il a été, comme il se définissait lui-même, notre « ancêtre ». Il nous a montré la voie et surtout nous a appris que la littérature c’était de la rage et de la révolte. Son premier roman « Le Passé simple » (1954) a été pour nous autres maghrébins aussi important que « L’Etranger » d’Albert Camus. C’est un livre qui disait les choses avec force et précision, qui parlait vrai et dépassait de loin les frontières du Maroc pour atteindre vite l’universel. Révolte contre les traditions rétrogrades, contre le conformisme social et religieux, révolte contre le père qui symbolisait tout cela, révolte aussi contre le langage, la langue française dans laquelle il a toujours écrit et qu’il a superbement enrichie.
Driss qui n’avait pas beaucoup le sens politique --et tant mieux—a publié son roman au plus mauvais moment possible : 1954, tout le pays réclame et lutte pour le retour du roi Mohamed V et l’indépendance du Maroc. La presse française pointe du doigt ce roman qui critique de manière véhémente et sans nuances la société traditionnelle marocaine, cette société qui s’opposait à l’Occident occupant le pays. Les militants nationalistes dont Mehdi Ben Barka décidèrent de boycotter ce livre et ne se privèrent pas de faire la leçon à Chraibi qui passait à leurs yeux pour un inconscient ou pire pour un traître. Le pauvre !
Il n’avait pas vu venir cette rafale de critiques et de remontrances. Il en fut assez malheureux et mit des décennies avant de renouer avec le Maroc et son public.
Il poursuivait son chemin et publiait l’année d’après « Les Boucs » le meilleur roman écrit sur l’immigration nord-africaine. Ce livre est toujours d’actualité. Livre impitoyable, acerbe, vrai et cruel.
Sa meilleure période restera celle où le Maroc lui a tourné le dos. Il écrira d’autres livres, toujours marqués par une ironie féroce, par un humour dévastateur et un style sec, dans le sens d’être aussi dépouillé qu’une statue de Giacometti. Pas de graisse. Pas d’adjectifs ni de redondance.
Son roman « La civilisation ma mère » est une pure merveille. Là, il réglait ses comptes avec la tradition et aussi avec le progrès à travers sa mère à qui il faisait découvrir le monde occidental.
Il marquera le retour au pays par deux éléments : confier à l’inspecteur Ali plusieurs enquêtes au pays, personnage porte-parole, puis célébration de la spiritualité à travers sa redécouverte de l’islam, un islam apaisé, lumineux, un islam où la poésie et l’exigence de l’élévation l’emportent sur les interprétations littérales et malheureuses.
Il est mort après avoir attrapé une pneumonie dans sa ville natale, El Jadida où il se trouvait au mois de mars en compagnie de sa femme et de son ami Kacem Basfao, professeur d’université, et grand lecteur des œuvres maghrébines.
Il a tenu à être enterré dans son pays. Le Maroc lui a rendu hommage. Mieux vaut tard que… Son décès est passé quasi inaperçu dans les médias français. Pierre Assouline l’a fait remarquer dans son blog du 5 avril. Un grand écrivain s’en va. Ce n’est pas une vedette de la chansonnette, ni un saltimbanque. Il n’est pas américain. Ecrivain marocain d’expression française. L’époque est ainsi. De son vivant, son œuvre a été superbement ignorée de la part des grands jurys littéraires français. Comme Kateb Yacine, comme Mohamed Khaïr Eddine.
Driss Chraibi s’en est allé sans nous dire ce qu’il a pensé de la rupture avec la francophonie. Je sais qu’il n’aimait pas ce mot. C’était un écrivain-monde. Un des grands. Il est toujours temps de réparer un oubli, une négligence. Les livres sont là. Il a déclaré en 2006 à un journal marocain que « si la civilisation arabo-musulmane s’est éteinte, c’est parce que nous n’avons pas pu apporter autre chose à l’édifice humain ». Cette lucidité est son trait de caractère essentiel. Quand il évoquait le conflit israélo-palestinien, il disait « le problème de la Palestine me hante ». Tout est dit.
Son rire, son humour, sa dérision nous manqueront beaucoup, me manqueront particulièrement.

Tahar Ben Jelloun.

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