Driss Chraïbi vue par Abdeslam Kadiri,correspondant de TelQuel en France :

Driss Chraïbi s’en est allé. Avec lui, c’est une figure d’enfance et une partie de mon Maroc, désormais imaginaire et fugace, qui s’en vont aussi. Avec sa femme écossaise, Sheena, il vivait dans un modeste appartement à Crest. Clope au bec, voix éraillée, toux tenace, Driss Chraïbi est resté jusqu’au bout fidèle à lui-même : engagé et entier, humaniste surtout. La révolte demeurait toujours - à 81 ans - sa compagne familière. Du Passé simple à L’homme qui venait du passé, il a abordé tous les thèmes brûlants d’aujourd’hui, bien avant qu’ils n’affleurent à la surface de nos consciences : l’immigration, le racisme, l’oppression familiale et religieuse, l’émancipation de la femme, le métissage impossible de deux cultures... Son génie est de l’avoir fait d’un roman à l’autre, avec un style et un humour inimitables. Sa hantise était de “devenir un parvenu, nanti d’une gloriole intellectuelle ou matérielle”. La remise en question perpétuelle de soi était son antidote.Il avait horreur des fastes, tapis rouges et flonflons. Simple, humble, souvent provocateur, il préférait sentir le cœur de son pays chez les vraies gens dial lemdina. Il était heureux de se sentir reconnu et admiré dans son pays. Il adorait aussi la culture amazighe que lui avait fait découvrir son ami Kacem Basfao. Toute sa vie et son œuvre ont été marquées par le passé. Nostalgie d’un Maroc des années 30-40, indolent, chaleureux, fraternel, même sous le joug colonial, d’une oumma originelle, d’une culture orientale prégnante. Ces dernières années, la convivialité marocaine lui manquait et il disait “s’emmerder dans (son) immeuble de vieux”. Puis d’un coup : “Tu veux écouter du Mohamed Abdelwahab ?”. Et de sortir un lecteur CD tout rouillé, près de la table envahie de médicaments et de paperasses, et un vieux disque. Musique.

Sa vivacité d’esprit demeurait remarquable, malgré ce qu’il appelait “les misères du corps”. Il hésitait à s’investir dans un roman, car il se savait “faillible, prêt à partir”, confiait-il en mai 2006. Avec son regard bleu pénétrant, il scrutait son interlocuteur. Et brusquement, le jeu s’inversait. C’était lui qui posait les questions. Il était aussi un formidable conteur. Quand il racontait une histoire, n’importe quelle histoire, elle prenait immédiatement chair. Bon vivant, épicurien, il avait aussi un amour instinctif et profond du Livre (Coran). Et le Ciel le lui rendait bien.
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1 commentaires

  1. Soufiane // 27 mai 2009 à 12:19